11/05/2013

Chapitre 1

Tout ce qui vit



Elles existent grâce à la lumière et l'eau. Certaines sont enracinées sur notre bonne vieille Terre depuis plus de 5000 ans. D'autres sont déjà allées dans l'espace sans que ça ne les affecte. Elles maîtrisent le vieillissement. Je les envie toutes, de vivre aussi bien grâce à si peu de chose.



Devant mes yeux fatigués, une petite cellule, un minuscule noyau simple d'apparence, mais qui m'a demandé tant de travail. Et là, un petit miracle. Il se divise, timide. Je n'y croyais plus. Le souffle court, je vérifie qu'Alette a bien tout enregistré. Les images ont bien été capturées. Je souris, je pleure, je revis un peu.

Tout s’enchaîne trop rapidement, alors que j'ai passé plus de 50 ans à obtenir ce résultat. Les analyses sont envoyées à mon supérieur, qui les passe ensuite à son supérieur... et ainsi de suite jusqu'au 320ème étage de la fière tour AI-industrie. Jamais je n'aurais cru envoyer le fruit de mes recherches en haut de cette fourmilière... Je... ne suis qu'un simple chercheur. Alette m'interpelle, demain je monterai en grade. Une augmentation, ça devrait se fêter. Mais je n'en ai cure, mon travail est devenu au fil des années, ma seule obsession. La pression d'un possible échec me tenaille bien trop, à présent que j'ai des feuilles d'or entre les doigts.

Mais plutôt que de vous ennuyer avec le récit de ma réussite au sein de cette industrie florissante, je vais vous parler de ce que j'ai réussi à faire. J'ai créé une chose fantastique, voyez vous, une petite cellule humaine n'ayant besoin que du soleil pour vivre... de l'eau aussi cela va de soit ! Mais plus besoin de nutriments externes, elle les fabrique elle même, grâce à sa combinaison génétique extraordinaire : la première cellule humaine viable qui accomplit la photosynthèse. Mais je ne suis personne à coté de mes instructeurs : Sequoiadendron giganteum, Pinus longaeva ou encore le Nymphaea lotus... des plantes, oui des plantes. Je leur ai toujours trouvé une grâce insondable, et aujourd’hui enfin, j'ai percé leur secret.

En quoi cela pourrait-il nous servir ? Je vois déjà vos yeux se froncer en imaginant de grandes ramures à la place de vos cheveux, ou encore de fous lichens sculpter vos joues roses. Voila ce que vous sortirait mon supérieur :
"Nous sommes à l'ère de la technologie durable et des découvertes les plus spectaculaires ! Aujourd'hui, tous le monde a 20 ans, tous le monde se toise d'une plastique parfaite, et tous le monde à les yeux rivés vers les étoiles. Il est devenu impératif pour notre société, de tester ses limites, de partager sa grandeur et d'ensemencer d'autres planètes de petits génies comme vous.
Des missions spatiales sont prévues et vous avez de la chance : AI-industrie est dans le feu de l'action. Elle dirige de nombreux secteurs, passant de la robotique à la chimie atomique. De nombreuses racines pour un tronc commun : faire grandir une nouvelle génération d'hommes encore plus évolués, de l'autre côté de la galaxie. Mais même si aujourd'hui plus personne ne meurt de vieillesse, notre corps est bien trop fragile, jamais il ne supportera les conditions extrêmes de l'espace. C'est pourquoi la seule solution est de nous transformer, d'aller contre la nature elle-même !"

Qu'en pensez vous ? hum... moi non plus je ne suis pas convaincu par son discours... Ça sent le flouze autant que le crottin qui nourrit mes plantes. Cela ne peut que mal tourner, et même si je suis l'un des instruments de cette étrange machinerie, je ne suis pas venu ici pour ça, non.

- Alette... dis moi, il est possible d'envoyer un message à ma femme ?

- Bien sûr Alexandre, je vous filme. Une fois que vous aurez fini, je le lui transmettrai.

- Merci... Hum... Chérie, c'est moi, ton Alexandre, jeumm... je vais devoir rentrer un peu plus tard ce soir. Tu... hehe... tu vas être contente d'apprendre que mes recherches portent enfin leur fruit, il y a de nouveau de l'espoir. Tu comprends ?... je ne peux pas lâcher prise, j'ai... si peu de temps, et je ne dois pas tomber... je vais réussir j'te le promet. Je t'embrasse. Je t'aime bien fort.

- Fin de la transmission. Voulez-vous lui envoyer des chocolats pour vous faire pardonner ?

- Des chocolats ? Pourquoi des chocolats ?

- Oui, vous deviez dîner en tête à tête ce soir à 18h30 précise, au Grande Palacio. Vous aviez commandé une table pour le box privé 2050. Au menu vous aviez prévu des Ach...

- ALETTE ! c'est bon, oui j'ai oublié... je m'en excuse, mais elle comprendra qu'une occasion comme celle-là est unique. C'est un miracle que je ne croyais jamais voir un jour éclore. Elle... comprendra.

- Je ressens de l'anxiété dans votre voix, avez vous besoin d'un calmant ?

- Non Alette, merci... je... je m’excuse je n'aurais pas du m'emporter. La fatigue... Oui c'est une bonne initiative, envoie-lui des chocolats. Heureusement que tu es là.

- Je ne suis là que pour vous servir Alexandre. Elle recevra le package dans quelques minutes.

- Merci Alette.


Son unique œil prend la forme d'un croissant de lune, c'est comme ça qu'Alette affiche sa satisfaction. Cette machine me paraît parfois plus humaine que mes collègues, ou que moi même. Ce travail me transforme, me durcit, me rend insensible. Le corps ankylosé, je me déconnecte alors de l’unité centrale, cette espèce de cercueil technologique dans lequel je fais mes simulations génétiques. Il me suffit de penser, d'utiliser ma matière grise à sa source sans contraintes, pour qu'Alette les retranscrivent dans la réalité. Quelques étirements, et je regarde les murs de mon bureau : chacun peut y projeter ce qu'il veut, pour se sentir mieux certainement, pour avoir l'impression de "maîtriser son espace".

Ma femme ne fait que sourire sur chacune des faces. Il n'y a que cette image qui m’apaise, ça et faire de longues balades dans la forêt. Ce moment de paix est assez bref, car entrent en trombe mes collègues : la nouvelle s'est répandue plus vite qu'une traînée de poudre. Je suis leur petit prodige, et ma réussite affectera aussi positivement leur compte en banque, alors il faut bien sourire, et faire semblant d'être une équipe unie. Je ne leur en veux pas vraiment, même si leur hypocrisie est flagrante, je suis simplement jaloux. Je n'arrive plus à prendre du plaisir, à être vraiment heureux, alors qu'eux le font en toute insouciance. Ils me serrent la main, me mettent dans le bec un verre de champagne dont les bulles me picotent le nez.

Mon supérieur prend un ton jovial et attire l'attention de tous.

- Allez les bleus, on va fêter cette réussite à l'opiumerie ! C'est ma tournée !

- Et comment ! On va pas se faire prier, allez viens avec nous Alex !

Une tape dans le dos, comme si une franche camaraderie s'était instaurée, je devrais ne plus hésiter et me laisser aller à la détente des fumées soporifiques de l'opiumerie, mais non.

- Je suis désolé les gars, mais... je peux pas, les résultats ont encore besoin d'être vérifiés. Et je...

- Oh ! Allez ! Pour une fois dans ta vie, fais pas ta mijaurée et suis-nous ! Tu vas voir... on va s'amuser. Avoue, tu veux rejoindre ta femme, c'est ça ? J'avoue que ses belles dents et ses yeux pétillants feraient perdre la tête à n'importe qui, mais on n't'éloignera d'elle qu'une petite heure ! Allez... on aimerait vraiment t'avoir parmi nous.


Avez-vous déjà senti le temps s’affaisser ? Des gens attendent quelque chose de vous, tous leur yeux rivés vers vous, et le blocage est si grand que les secondes se mutent en minutes. J'ai refusé de rejoindre ma femme ce soir, et je m’apprête à dire oui à cette bande de joyeux fêtards... vous y croyez vous ? Je ne sais pas pourquoi j'ai dit...

- Oui.

Pourtant c'était un violent "Non" qui possédait mon corps pendant cette longue hésitation. La tentation d'oublier... de perdre son esprit dans les fumées... Mon inconscient a tranché.


 Le nouvel opium est une neurotoxine découverte il y a maintenant quelques années. En toute petite quantité, elle n'a aucun effet négatif, au contraire. C'est la "drogue saine", le nouveau divertissement qui vampirise les fins de journées des plus huppés et des artistes. Il permet de baisser tout juste l'activité du cerveau, pour accéder de façon consciente aux rêves les plus profonds, et de les vivre comme s'ils étaient réels. Certains l’appellent le "Somnus inceptio", la nouvelle frontière entre la réalité et le rêve.

De quoi pourrais-je rêver ? Je n'avais jamais essayé avant cette soirée mémorable. Alors que ma vue se brouillait, j'accédais malgré moi à cet univers.


Je me retrouvais au milieu de nulle part, minuscule, une grosse lentille pointée sur moi, et derrière laquelle un immense œil végétal me mirait. La paupière de celui-ci était faite d'une large feuille et l'iris, d'un magnifique lotus bleu. Elle me parlait dans une langue incompréhensible, et soufflait par intermittence. Je me mis à faire de même sans comprendre pourquoi, jusqu’à ce que je me torde de douleur. Mon ventre était énorme, et des feuilles en sortaient de façon aussi barbare que dans le film Alien. A peine remis de cet événement, l’œil se mit à flétrir et se consumer. Tout n'était à présent que feu et fumée. Des étincelles voltigeaient magnifiquement, on aurait dit des étoiles parmi cette épaisse fumée. Plus un bruit, juste l'émerveillement de cet étrange spectacle. Deux flammèches en particulier tournaient ensemble, comme si elles dansaient, alors que toutes les autres semblaient aller à la dérive. Quel était le secret de cette valse hypnotique ? A bien y regarder, elles n'étaient pas complètement harmonieuses, car l'une d'elle dérobait de l'énergie à l'autre tout en grossissant.
Les séparer me parut la plus juste des choses à faire, mais le subtil équilibre qu'elles avaient trouvé s'évanouit en même temps. Cette situation me chamboula de façon grotesque, ce n'était pourtant rien que des étincelles !

Cependant à mon réveil, j'étais encore plus mal qu'en arrivant à l'opiumerie. Plus jamais je ne fréquenterai ces établissements d'attrape-nigaud. Morose. Je ne sais même pas comment mes collègues me supportaient. Tous savaient que je vivais une mauvaise passe, d'où mon abattement chronique, pourtant personne n'avait osé me demander ce qui n'allait pas. Ils mettaient ça sur le compte de la timidité.

Rentrer, c'est tout ce à quoi je pensais.


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Edit / Merci à Morgane Burlion & Derelion pour leur relecture ;)
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5 commentaires:

  1. C'est un bel incipit SF et la conception graphique qui l'entoure est assez somptueuse. Si je peux me permettre une critique: l'orthographe gagnerait à être relue et corrigée par un tiers ( je veux bien te proposer mes services de correctrice).

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    1. Oh bah merci pour les compliments !
      Quant à l'orthographe (même si je me remis de nombreuses fois) ça reste toujours mon pire ennemi. C'est gentil ta proposition, je ne dis pas non :) !!!
      Comment souhaites-tu procéder ?

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    2. Si le blog le permet, je peux te donner mon adresse mail en mp. Le plus pratique serait que tu m'envoies les premiers chapitres en format word. Je te les corrige en laissant les modif en fluo pour que tu puisses t'assurer que je ne trahis pas le sens du texte. :-)

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    3. Bon, google a pensé à tout sauf à permettre aux blogger de se contacter. Je t'envoie mon mail en mp sur ton déviant art :-)

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    4. A oui... j'penses que pour les MP dois y'avoir un truc à bidouiller dans les paramètres. J'vais regarder ça (c un peu énervant).
      Eheh, bon bah c'est cool que tu es trouvé mon compte DA :) ! Je t'envoie ça de suite ;) !

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