11/06/2013

Chapitre 2

Tout ce qui brille


- Qu'est-ce que je suis ? 
- Et bien techniquement, tu es composée à 65% d'oxygène, à 18% de carbone, à 10% d'hydrogène... et pour le reste, tu n'as qu'à regarder le tableau périodique des éléments.
- Pfff... Alors toi, tu sais parler aux femmes !
- Hum ! Attends je la refais, on efface tout. Wiiip, rembobinage. Qu'est-ce que tu es ? C'est pourtant évident ! Tu es la plus belle pépite d'étoile qu'il m'ait été permis de voir.




Les mains moites, j'attends devant la porte. Après avoir passé plus de 10h connecté avec Alette, mes idées ne sont plus très claires. Mon niveau de sociabilité est en chute libre, et s'il était quantifiable, je serais en dessous des 30%. Le directeur est derrière cette paroi de verre teinté, et dans quelques instants il va m'inviter à entrer et me féliciter pour mon travail. Et ma plus grande hantise est... qu'est-ce que je vais lui dire ?

Pour échapper quelques instants à cette torture, mon regard s'attarde sur l’horizon. Il grouille d'engins volants qui défilent de façon aussi constante que la houle. Les buildings quant à eux, sont hauts et solidement ancrés. Mais pour moi, ils sont aussi intéressants que les ruines verticales d'un ponton. Non, ce qui attire plutôt mon attention, c'est ce petit spectacle que nous offre le soleil toutes les vingt-quatre heures : il a fait son show toute la journée sans que personne n'y fasse vraiment attention, et là, pendant quelques minutes, il se retire plein de grâce et de panache. Le ciel bleu devient or, et tout semble tapissé de métaux précieux, des nuages aux vitres des bâtiments, tout brille.

C'est à ce moment que la porte coulisse et me ramène violemment sur terre. Un homme grand et sec m'accueille, un large sourire au visage. Je déglutis, lui renvoyant son sourire. Une bonne poignée de main, jusque-là je me débrouille plutôt bien. A présent assis, je trouve une certaine stabilité physique qui m'aide à m'exprimer.

- Bonjour Monsieur, c'est un plaisir de vous rencontrer.

- "Bonsoir" ! N'avez-vous pas remarqué que le soleil décline, haha.

Remonter mes lunettes avec l'index est tout ce que je trouve à lui répondre.

- Bon, mon cher Alexandre - ça ne vous dérange pas que je vous appelle par votre prénom ? - bien ! Je vais aller droit au but. Vous nous plaisez beaucoup, et quand je dis "nous", c'est le comité dans sa totalité, qui s'est réuni hier soir. Les résultats de vos analyses ont été présentés comme un cheveu sur la soupe, peu de temps avant la fin de notre réunion. Mais ce n'était pas un cheveu ! non ! C'était une mèche, LA mèche de dynamite qui nous manquait, et vous êtes notre nitroglycérine !

Quand il s'exprimait, il faisait de grands gestes avec ses bras. Un personnage très expressif que ce p'tit "supérieur". Sa facilité à enrober ses propos comme des bonbons, avait dû lui ouvrir pas mal de portes. Si je prenais ses mots à la lettre, j'étais pour lui leur nouveau Messie. Mais où était donc la couronne d'épine ?

- Voyez-vous Alexandre, AL-Industrie a de grands projets. Nous avons signé un gros contrat avec la confédération des Etats Égaux. Mais ça, vous le savez déjà. Ils vont financer notre grand projet : Alpha-discovery. Notre but est donc d'établir la première colonie extra-solaire, aux abords d'Achernar. Pourquoi notre choix s'est porté sur cette étoile ? Et bien nous sommes aussi fous qu'ambitieux. Achernar est certainement l'étoile la plus agitée parmi toutes les étoiles proches. Si la mission réussit là-bas, elle marchera d'autant plus ailleurs. Nous avons localisé une petite exoplanète tellurique dans la zone habitable. Et nous souhaitons la terraformer en partie... l'autre partie sera VOTRE objectif à long terme.

- Attendez... Mon objectif ?

Et la voilà ! Je le savais ! Voilà les ronces qu'il essaie d'enfoncer sur ma tête. Bien sûr il va me proposer une offre alléchante, le rêve de tout chercheur, l'aboutissement de toute une vie. Mais justement, à présent que nous sommes tous immortels, il n'y a pas d’aboutissement... enfin je ne l'entends pas ainsi. Je ne cherche pas cette gloire, car tout ce que je désire est hors de portée.

- Hummm... Je vois à votre tête que l'offre vous laisse sceptique. Mais avant de penser ou dire quoi que ce soit de plus, écoutez-moi attentivement. Votre mission sera donc de faire pousser votre petit prototype de cellule photosynthèsée et de...

- Prototype justement, vous faites bien de le souligner.

- Je n'ai pas fini... Bien ! Et puis ce n'est qu'une question de budget à présent que vous êtes sur la bonne voie, je continue. Vous superviserez la culture et le bon développement d'humains génétiquement modifiés près d'Achernar et de son étoile jumelle.

Il y eut ensuite un moment de silence, une autre des choses que mon supérieur semblait maîtriser à merveille. Il me fixa un moment, les sourcils froncés, perdu dans ses pensées. Il me fallut un peu de temps pour comprendre que cette latence lui était nécessaire pour passer du mode "enthousiasme" au mode "empathie".

- Jeuuuu... saiscequevoustraversez. Cela m'attriste au plus haut point, vous pouvez le savoir. La nature est... faite d'exceptions, vous le savez mieux que personne ! Et malheureusement, c'est tombé sur votre couple.

Il s'avance un peu et pose les mains serrées sur la table. Sa légère approche signifie certainement qu'il veut me parler en tant qu'ami... et je m’attends à tout instant à ce qu’il me serre dans ses bras, vu avec quelle rapidité je semblais être devenu l'un de ses proches.

- Ecoutez... si vous coopérez, je pense que je pourrai vous aider à résoudre votre... problème. J'ai le bras long croyez-moi, et cette injustice ne sera pour vous, qu'un affreux souvenir. Ne vous voyez-vous pas dans 200 ans avec votre femme ? dans votre petite maison de campagne, tous les deux...? Et il vous arrivera d'en reparler avec humour. Ecoutez-moi et ayez foi en moi : nous avons besoin de vous autant que vous avez besoin de nous.

Je baisse la tête. Là, il marque un point. Et moi qui pensais que personne ne savait quoi que ce soit sur ma situation et mes mobiles. Je serais venu tout nu au boulot un matin, ça aurait été à peu de chose près la même chose. Je serre la mâchoire, mon égo en prend un coup. Je le regarde un long moment, et c'est d'une petite voix étouffée que je lui réponds.

- Mais c'est impossible, on ne peut pas/

- Rien n'est impossible à qui le veut vraiment.

- Mais...

- Ayez foi en moi, Alexandre.

Ma lèvre inférieure est prise en tenaille sous mes dents supérieures. Ce qu'il me propose semble inespéré. C'est... le souffle qui manquait pour que la petite flamme d'espoir que je nourrissais, devienne enfin un feu de joie. Je vendrais mon savoir faire, et peut-être même jusqu’à mon âme pour enfin vivre sans cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

- Oui... monsieur, je suis votre homme.

Votre homme... qu'est-ce que cela signifiait ? Je tourne la tête vers le crépuscule naissant, et me voilà de nouveau derrière la porte. Cette fois avec un petit quelque chose en plus, un papier, un de ses machins blancs et fragiles qu'utilisaient les hommes d'avant notre ère pour conclure des accords. Sur celui-ci, est noté brièvement le résultat de notre entretien, et la signature de chacun. C'est censé me réconforter ? ou me rappeler qu'il faut dès à présent que je m'acquitte de cette tâche ?

Et si j’arrêtais de penser comme je pense tout le temps ?! Que dirait ma femme à ma place ? Que dirait ma douce et joviale Estelle dans cette situation ?...

- Oooh, mais regardez-moi cette étrange signature, on dirait un petit singe avec de grandes oreilles qui dirige un mammouth ! Et puis c'est quoi cette feuille ?! Tiens, passe-la moi ! Elle va faire un matériau de choix pour mon nouvel avion anti-technologie lilliputienne ! Allez, fais pas cette tête mon Roméo ! Demain le jour reviendra avec son lot de surprises. Avance sans regarder derrière, à quoi ça sert ? Fais-moi donc un sourire plein de tes dents piano, et regarde-moi comme la première fois... tu sais, quand tes yeux brillaient encore de mille et une lanternes.

Je lui aurais bien pincé le flanc pour avoir critiqué mes quelques dents désaccordées. Mais au final, elle aurait eut tout ce qu'elle désirait. Je me mets à sourire naturellement.

Demain est un nouveau jour.


-------------------------------------------
Edit / Merci à Morgane Burlion & Derelion pour leurs relectures ;)
-------------------------------------------

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire