11/08/2013

Chapitre 3

Tout ce qui trouble


- Madame, nous pensons que votre fils ne voit pas bien au tableau. Il fait régulièrement des fautes sur sa tablette. Il doit avoir une de ses "maladies rares" des yeux : la myopie. 
- Oh non ! Et c'est grave ?!!!
- Non non ne vous inquiétez pas. Par contre il devra porter des lunettes dans un premier temps. Et une fois adulte il pourra se faire opérer. Il faudra passer tout de même chez un généticien pour contrôler cette anomalie. Ils doivent avoir fait une erreur.  




Le contact est froid. Ma main est déployée sur le capteur biométrique, celui-ci ne répond pas. Il est aussi réactif qu'un bloc de marbre. C'est bien ma veine, il est le seul gardien de la porte d'entrée. Donnez trop de pouvoir à la technologie, et voilà le résultat ! Dans un premier temps, je tapote du bout des doigts le capteur (on ne sait jamais, le coup de l'oiseau qui picore va peut-être l'agacer), et voyant que la manière douce ne fonctionne pas, j'y balance un furtif et violent coup de poing (j'appellerais poétiquement cette technique "le pigeon qui se prend une vitre").

C'était certainement trop fort, vu que la douleur ne se fait pas attendre. Énervé qu'un bout de plastique m'impose sa loi, je perds tout contrôle, tout ce qui faisait de moi un honnête citoyen s'évapore : râles, hurlements, ou bien encore arrachage de plantes murales. Adieu perdrix et autres volatiles, me voici Hulk, la terreur des plantes vertes ! C'est le seul défouloir que je trouve sur le moment...
J'ai craqué, eh oui ! Comment dire... ?  Le fil ténu de ma patience s'est "effiloché". Qui ne l'aurait pas fait ? Si un jour ça vous arrive, un bon conseil : faites comme si vous n'aviez pas vu la tête que tirent vos voisins, vous aurez ça de moins sur la conscience.

Une fois terminé mon petit intermède quelque peu agité, je remets ma veste comme il se doit, et je range sur le bas-côté les pousses dévastées. Il ne me reste plus qu'à appeler ma princesse en haut de sa tour, pour la supplier d'enfoncer la forteresse de l'intérieur. Peu fier le prince charmant...
Mais une sirène me détourne de l'objectif. C'est la voix suave d'Alette, qui me prévient qu'un nouveau message est arrivé.

- Oui Alette ? Je t'écoute. Il est question de quoi dans ce message ?

- Excuse-moi Alexandre, je ne pourrais diffuser ce message qu'en présence de ta femme.

- Dis moi au moins qui l'envoie.

- Négatif, l'expéditeur te mettrait sur la piste.

- Bien ! Tu es une sage fille, hehe ! Tiens, pendant que je t'ai, tu peux m'ouvrir la porte d'entrée ?

- Accordé. Je détecte des anomalies dans le système d'ouverture. Avez-vous tenté de la forcer ?

- Oh tiens ! Je découvre une nouvelle facette de ta personnalité, Alette. Depuis quand tu développes de la "curiosité" ?

- Négatif, vous me répondez par une autre question, ce n'est pas du jeu.

- Haha, j'te fais marcher. J'avais juste peur que tu me dénonces aux autorités, pour avoir perdu le contrôle de mes émotions.

La porte s'ouvre et les murs s'illuminent à mon entrée. Toujours en ligne avec mon assistante virtuelle, j'entre dans le sas de décontamination. Les bras tendus, je fais quelques tours sur moi-même, en attendant que la fumée projetée détruise les résidus radioactifs qui recouvrent mes habits.

- Je ne vous dénoncerai pas Alexandre, sauf si vous excédez le quota autorisé de trois infractions par semaine.

- Oh... Tu es gentille, tu me laisses de la marge. Humm... voyons voir... humm... Tu sais quoi, je vais réfléchir à mon prochain méfait, et on en reparle. Tu es d'accord ?

- Négatif. On ne m'a pas programmé pour établir des plans de destruction.

- Oula tout de suite ! Plans de destruction ?! Tu nous sors l'artillerie ! Non, je pensais à des choses plus soft, comme brûler vif quelques frites, dans un chaudron débordant d'huile bouillante. Tu dois bien connaître quelques recettes de torture-patates ? Juste pour apaiser ce vorace d'ogre qu'est mon estomac... je te promets, elles ne souffriront pas trop longtemps. 

- ... Accordé, pour les recettes, cela ne va pas à l'encontre de ma programmation. Mais, j'ai du mal à saisir : comment comptez-vous faire souffrir des pommes de terre ? Elles n'ont pas de système nerveux. 

- Tu es une fine observatrice, Alette ! Et bien c'est toute la difficulté ! Seuls les génies de mon espèce peuvent être assez machiavéliques pour créer des patates vivantes ! Et imagine, mon machiavélisme serait à son paroxysme, si je réussissais à les doter de ton intelligence. Car avec ces patates, je pourrais dominer le monde... que dis-je, l'univers entier !!!

- ... Alexandre ... Vous allez bien ?

- Rappelle-moi de demander à Luka s'il peut te rajouter quelques lignes de codes, histoire de développer aussi le "sarcasme". Quoique non en fait, je m’amuse très bien ainsi. Reste comme tu es Alette, je t'adore.

La séance de décontamination finie, je retire mes chaussures, et, les pieds nus sur la moquette, je me dirige vers la vita-keep. Ma femme s'y repose, la journée a certainement été éprouvante. Quelques instants je la regarde, si paisible dans son globe de verre. Il me vient en tête des images, celle de Blanche-Neige, ou encore celle de la rose magique de la Bête... Mais l'image qui me reste le plus en tête est celle de Nora Fries, la femme de Mister Freeze. Non. Ce ne sont que des images.

Quelques heures ont passé et nous voilà tous les deux assis sur le canapé. Je la serre contre moi et demande à Alette de délivrer son message. Un étrange documentaire se déploie sous nos yeux. Pas de présentateur, juste une voix off et des images de la terre.

"En 2070, la population mondiale avait atteint dix milliards, et la technologie de téléportation avait fait un bon. A cause de la surpopulation et de l'épuisement des ressources naturelles, l'écart entre les pays ne cessait de croître, la prospérité des peuples avait laissé place à la souffrance et une troisième guerre mondiale se profilait inéluctablement. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que le destin de l’humanité ne soit définitivement scellé. Il était urgent de trouver des solutions pour que tous vivent libres et égaux. C'est alors que les plus grands états se sont réunis pour former les Etats Égaux, tous unis sous une même bannière et ayant le même but, celui de créer une société humaine à l'image de notre planète bleu mais plus écologique. De nouvelles lois, de nouvelles directives, et de nouvelles façons de penser ont été instaurées pour le bien de tous.
Mais la démographie grandissante aurait détruit ce nouvel équilibre, si la loi sur le contrôle des naissances n'avait pas été imposée comme l'unique solution.

Aujourd'hui, seulement un couple sur trois a la chance d'avoir un enfant. Et nous avons l'honneur de vous annoncer que vous avez été sélectionnés pour faire partie de ses rares élus ! Toutes nos félicitations !!! Nous vous invitons à venir dès demain au centre génétique le plus proche de chez vous, afin de sélectionner les cellules les plus saines pour créer l'enfant de demain. Encore toutes nos félicitations !!!"

Un grand silence s'ensuit. C'est une blague ? Si cela en est une, elle est de très mauvais goût et me donne envie de m’effondrer. Tout ce que je trouve à dire à Estelle, c'est :

- Hum... j'ai du travail, j'vais m'absenter un peu ce soir.

- Alexandre...

Elle savait toujours quoi dire, mais là, seul mon prénom sortait de sa voix fragile. Il n'y avait besoin d'aucun autre mot. Elle avait besoin de moi, et j'avais besoin de m’isoler. Je déteste qu'elle me voit dans cet état, et puis travailler me fait oublier. C'est pour elle que je fais tout ça, rien que pour elle.

Suis-je le prince charmant qui, d'un baiser, la délivrera de sa longue torpeur ? Ou est-ce que je suis le monstre qui la maintient sous sa cloche de verre, juste par égoïsme, juste pour la garder un peu plus longtemps près de moi ? Je ne suis qu'un homme, un homme qui cherche un remède à son mal, et tant qu'elle vivra, je me battrai contre le néant qui l'attend.

Ma femme est condamnée.


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Edit / Merci à Derelion pour sa relecture ;)
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